Dans cet extrait, tiré d’un ouvrage de 1859 «Souvenirs d'un voyage à Mogador», Paul-Eugène Bache rapporte à propos du thé:
“ On faisait au Maroc, il y a quelque quarante ans, une aussi prodigieuse consommation de café que dans les autres contrées musulmanes du Levant, c'est-à-dire qu’on en prenait à toutes les heures du jour et de la nuit.
Dans le courant de l’année 1820, peut être avant, les Anglais ayant fait à l’empereur des présents de thé (avec la manière de s’en servir), ce prince en offrit aux personnes de sa cour, et bientôt l’usage de cette boisson nouvelle se répandit, de proche en proche, jusqu’au dernières classes de la société ; de telle sorte que, toutes choses égales d’ailleurs, on prend aujourd’hui autant de thé dans l’empire du Maroc qu’en Angleterre.
Cette innovation, assurément surprenante chez un peuple aussi religieusement coutumier que le peuple maure, pourrait sans doute s’expliquer par une des formelles prohibitions du Koran, qui défend, comme on sait, l’usage des boissons fermentées capables d’enivrer, au nombre desquelles certains docteurs musulmans n’ont pas hésité à ranger le café ; mais il vaut mieux en faire honneur à la politique, à l’adresse mercantile des Anglais, qui, d’une part, maîtres de Gibraltar, d’autre part, en possession presque exclusive du monopole du thé qui se débite dans tout l’univers, ont su s’arranger de façon à écouler chez leurs voisins les Marocains ce produit exotique, qui forme une des riches branches du commerce britannique.
Isle de Mogador ses mouillages et son port / [Bellin]
Source: Bibliothèque nationale de France
Quoi qu’il en soit, il n’est guère de Marocain un peu aisé qui n’ait chez lui du thé à offrir, à toute heure du jour, aux personnes qui viennent lui rendre visite. Le thé se prend très fort, rarement avec du lait, et le sucre se met en bloc dans la théière, avant de servir. Chaque habitant a dans sa maison un petit coffre, fermant à clef, exclusivement destiné à contenir le thé et le sucre ; ce coffret est placé sur la natte ou le tapis, à l’endroit où le maître du logis a coutume de s’asseoir habituellement. Pas n’est besoin d’ajouter que les gens du Maroc ne savent s’approvisionner de sucre et de thé surtout que chez leurs bons amis les Anglais de Gibraltar. Mogador a suivi l’exemple des autres villes de l’empire, et l’usage du thé, remplaçant le café, s’y est promptement popularisé *”.
* M. de Colomb nous apprend, dans une notice sur les Oasis du Sahara (Revue Algérienne et Coloniale, numéro de septembre 1860, t. III, p. 315), que « les blancs, les djouad, mollement étendus sur le sable, à l'ombre des palmiers, donnent leurs ordres en buvant du thé... oui du thé, car cette boisson chinoise après avoir envahi le Maroc, importée par le commerce Anglais, est arrivée jusqu’à Touat et y est consommée en assez grande quantité par les classes aisées. Seulement, à l'instar des Marocains, les Touatiens mêlent beaucoup de feuilles de menthe avec la précieuse feuille de l'arbre asiatique, et substituent ainsi au nectar parfumé une nauséabonde tisane ».
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